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Pendant que
Larry Underwood tombait de sa moto, Stuart Redman était assis sur une grosse
pierre, en train de déjeuner au bord de la route. Il entendit un bruit de
moteur se rapprocher. Il avala d’un trait ce qui restait de sa bière et referma
soigneusement la boîte de crackers. Son fusil était posé à côté de lui. Il le
prit, enleva le cran de sûreté et reposa son arme. Des motos. Des petites
cylindrées, à juger par le bruit. Sans doute des deux cent cinquante. Dans le
profond silence il était impossible de dire à quelle distance elles se
trouvaient encore. Quinze kilomètres peut-être. Mais ce n’était pas sûr. En
tout cas, amplement le temps de continuer à manger s’il en avait eu envie, mais
ce n’était plus le cas. Le soleil était chaud et l’idée de rencontrer d’autres
êtres humains plutôt agréable. Il n’avait vu personne depuis qu’il avait quitté
Glen Bateman, à Woodsville. Il jeta un coup d’œil sur son fusil. S’il avait ôté
le cran de sûreté, c’est que ces gens qui arrivaient pouvaient bien être du
genre de Elder. Mais s’il avait reposé son fusil, c’est qu’il espérait qu’ils
ressembleraient plutôt à Bateman. En plus optimistes, si possible. La
société se reformera, avait dit Bateman. Je n’ai pas dit qu’elle se « réformera ».
La race humaine n’a jamais su se réformer.
Mais Bateman ne tenait pas du
tout à assister à la renaissance de la société. Il semblait parfaitement
heureux – pour le moment du moins – de se promener avec Kojak, de peindre ses
aquarelles, de cultiver son jardin et de réfléchir aux conséquences
sociologiques d’une extinction presque totale de la race humaine.
Si vous revenez par ici et si
votre invitation tient toujours, j’accepterai sans doute de partir avec vous. Voilà
le fléau de la race humaine. La sociabilité. Et le Christ aurait dû dire :
« En vérité je vous le dis lorsque deux ou trois d’entre vous se réunissent,
un autre pauvre type va se faire casser la gueule dans pas longtemps. »
Dois-je vous dire ce que la sociologie nous enseigne sur la race humaine ?
En deux mots, ceci : Montrez-moi un homme seul, et je vous montrerai un
saint. Donnez-moi un homme et une femme, et ils vont tomber amoureux. Donnez-moi
trois êtres humains, et ils vont inventer cette chose charmante que nous
appelons la « société ». Donnez-m’en quatre, et ils vont construire
une pyramide. Donnez-m’en cinq, et ils vont décider que l’un d’entre eux est un
paria. Donnez-m’en six, et ils vont réinventer les préjugés. Donnez m’en sept, et
dans sept ans ils vont réinventer la guerre. L’homme a peut-être été créé à l’image
de Dieu, mais la société humaine a été créée à l’image de Son grand ennemi.
Était-ce vrai ? Si ce l’était,
alors que Dieu nous protège. Ces derniers temps, Stu avait beaucoup pensé à ses
anciens amis et connaissances. Et dans ses souvenirs, il avait fortement
tendance à gommer ou à oublier totalement ce qu’ils avaient pu avoir de
désagréable – Bill Hapscomb qui se mettait le doigt dans le nez et essuyait la
morve sur ses semelles – Norm Bruett qui avait la main plutôt leste avec ses
enfants ; Billy Verecker et sa façon à lui d’enrayer l’explosion
démographique de la population féline des environs : il écrasait le crâne
des chatons à coups de botte.
Les souvenirs qu’il voulait
garder étaient tous agréables. Partir à la chasse à l’aube, emmitouflé dans une
grosse veste. Jouer au poker chez Ralph Hodges ; Willy Craddock se
plaignait toujours d’avoir perdu quatre dollars, même quand il venait d’en
ramasser vingt. Six ou sept copains en train de pousser la jeep de Tony Leominster,
ce jour où il était allé dans le fossé, ivre mort, et Tony qui titubait sur la
route et qui jurait ses grands dieux qu’il avait voulu éviter un camion plein
de Mexicains, des illégaux bien sûr. Ce qu’ils avaient pu rire. Les blagues de
Chris Ortega, toujours des histoires de Polonais et de Juifs. Quand ils
allaient à Huntsville voir les putes ; la fois où Joe Bob Brentwood avait
attrapé des morpions – il soutenait mordicus que les bestioles venaient du
canapé, pas de la fille qu’il s’était envoyée en haut. Ils s’amusaient bien. Pas
des trucs de riches, avec leurs boîtes de nuit, leurs restaurants, leurs musées.
Mais ils rigolaient bien quand même. Et il pensait à d’autres choses encore les
ressassait dans sa tête, comme un vieillard solitaire bat et rebat son jeu de
cartes poisseuses pour faire une patience. Mais surtout, il voulait entendre d’autres
voix, rencontrer quelqu’un, pouvoir lui dire t’as vu ça ? quand il
se passait quelque chose comme cette pluie d’étoiles filantes, l’autre soir. Il
n’était pas bavard, mais il n’appréciait pas la solitude.
Il se redressa un peu quand les
motos sortirent finalement du virage, deux Honda 250. Un jeune type d’environ
dix-huit ans et une fille, peut-être un peu plus âgée. La fille portait une
chemise jaune clair et un jeans bleu ciel.
Les deux Honda firent un petit
écart quand le garçon et la fille le virent assis sur son rocher. Le garçon
resta bouche bée. Un moment, Stu pensa qu’ils allaient passer tout droit.
Stu leva la main.
– Salut ! dit-il d’une
voix aimable.
Son cœur battait dans sa poitrine.
Il voulait qu’ils s’arrêtent. Et c’est ce qu’ils firent.
Stu ne comprenait pas pourquoi
ils avaient l’air si nerveux. Surtout le garçon. On aurait dit qu’on venait de
lui vider cinq litres d’adrénaline dans le sang. Naturellement, Stu avait un
fusil, mais il était posé à côté de lui, et ils étaient armés eux aussi ; le
garçon avait un pistolet ; elle, une petite carabine.
– J’ai l’impression qu’il n’est
pas dangereux, Harold, dit la fille.
Mais le garçon qu’elle avait
appelé Harold continuait à regarder Stu, pas trop rassuré.
– Je te dis que…
– Comment peux-tu savoir ?
répliqua Harold sans quitter Stu des yeux.
– Moi, je suis bien content
de vous voir, si ça peut vous faire plaisir, dit Stu.
– Et je dois vous croire ?
lança Harold.
Stu vit qu’il était mort de peur.
– Comme tu voudras.
Stu descendit de son rocher. Harold
cherchait déjà son pistolet.
– Harold, laisse ça
tranquille, dit la fille.
Puis ce fut le silence. Aucun d’eux
ne semblait pouvoir faire le premier pas. Trois points qui, lorsqu’ils seraient
reliés, formeraient un triangle dont on ne pouvait encore prévoir précisément
la forme.
– Aïe dit
Frannie en se laissant tomber sur un tapis de mousse au pied d’un orme. J’ai le
derrière en compote, Harold.
Harold poussa un grognement. Frannie
se tourna vers Stu :
– Avez-vous déjà fait trois
cents kilomètres sur une Honda, monsieur Redman ? Je ne vous le recommande
pas.
– Où allez-vous ? répondit
Stu en souriant.
– Et qu’est-ce que ça peut
vous faire ? demanda Harold d’une voix brusque.
– Mais qu’est-ce qui te
prend ? lui dit Fran. M. Redman est la première personne que nous
voyons depuis que Gus Dinsmore est mort ! Nous sommes partis pour trouver
des gens, non ?
– Il veut vous protéger, c’est
tout, dit doucement Stu.
Il arracha un brin d’herbe et se
mit à le mordiller.
– C’est ça, je la protège, répliqua
Harold, toujours très nerveux.
– Je pensais que nous nous
protégions tous les deux, dit-elle.
Harold rougit jusqu’aux oreilles.
Donnez-moi trois êtres humains,
et ils formeront une société, pensa Stu. Mais est-ce que ces deux-là
pouvaient faire équipe avec lui ? Il aimait la fille mais le type lui
faisait l’effet d’être un trouillard et une grande gueule. Et une grande gueule
qui a peur peut devenir très dangereux.
– Comme tu veux, marmonna
Harold.
Il lança à Stu un regard oblique
et sortit un paquet de Marlboro de la poche de son blouson. Maladroitement, il
en alluma une. Stu se dit qu’il n’y avait sûrement pas longtemps qu’il avait
commencé à fumer. Peut-être avant-hier.
– Nous allons à Stovington, dans
le Vermont, dit Frannie. Au Centre de recherches épidémiologiques. Nous… qu’est-ce
qu’il y a, monsieur Redman ?
Stu était devenu très pâle. Le
brin d’herbe qu’il mâchonnait était tombé sur ses genoux.
– Pourquoi là-bas ? demanda
Stu.
– On vous l’a dit, à cause
du Centre de recherches épidémiologiques, répondit Harold sur un ton
prétentieux. Il m’a semblé que, s’il restait un semblant d’ordre dans ce pays
ou que si quelqu’un avait survécu à cette épidémie, c’est à Stovington que nous
allions le trouver, ou encore à Atlanta où il existe un autre centre de recherches.
– C’est vrai, dit Frannie.
– Vous perdez votre temps.
Frannie eut l’air surprise. Harold
prit un air offusqué ; son cou devenait tout rouge.
– Je ne pense pas que vous
soyez à même d’en juger, mon cher monsieur.
– Je crois que si. Je viens
de là-bas.
Cette fois, ils étaient tous les
deux sidérés.
– Vous connaissiez ce centre ?
demanda Frannie. Vous avez été voir ?
– Non, ce n’est pas ça. Je…
– Vous êtes un menteur !
lança Harold d’une voix stridente.
Fran vit un éclair de colère
briller dans les yeux de Redman. Mais il se calma aussitôt.
– Non. Je ne suis pas un
menteur.
– Je dis que vous êtes un
menteur ! Je dis que vous n’êtes qu’un…
– Tais-toi, Harold !
Harold se tourna vers elle, blessé
dans son amour-propre.
– Mais Frannie, comment
peux-tu croire…
– Comment peux-tu être aussi
grossier, aussi agressif ? Est-ce que tu vas au moins écouter ce qu’il a à
dire ?
– Je ne lui fais pas
confiance.
Et moi, j’en dirais autant de toi,
mon gars, pensa Stu.
– Comment est-ce que tu peux
ne pas faire confiance à quelqu’un que tu viens de rencontrer ? Vraiment, Harold,
tu te comportes comme un enfant !
– Je vais vous expliquer, dit
Stu d’une voix tranquille.
Et il leur raconta une version
abrégée de cette histoire qui commençait le jour où Campion avait démoli les
pompes de Hap, puis son évasion de Stovington, une semaine plus tôt. Harold
regardait ses mains d’un air maussade en déchiquetant des brins de mousse avec
ses doigts. Mais la fille tirait une gueule terrible et Stu se sentit mal pour
elle. Elle était partie avec ce type (qui avait eu une très bonne idée, il
fallait quand même l’admettre) espérant contre tout espoir qu’il restait encore
quelque chose du monde d’autrefois. Cet espoir venait de s’envoler. Et elle le
prenait plutôt mal.
– Atlanta aussi ? Les
deux centres ? demanda-t-elle.
– Oui.
Elle éclata en sanglots. Il
aurait voulu la consoler mais le type n’allait sûrement pas être de cet avis. Harold
lança un regard gêné à Fran, puis se replongea dans la contemplation des brins
de mousse qui couvraient les poignets de sa chemise. Stu tendit son mouchoir à
Fran qui le remercia distraitement, sans lever les yeux. Harold lui lança un
regard grognon, le regard d’un petit enfant gâté qui veut manger tout seul la
boîte de biscuits. Il va avoir une drôle de surprise, pensa Stu, quand il va
découvrir que la vie n’est pas une boîte de biscuits.
Fran se calmait un peu.
– Nous devrions vous
remercier, dit-elle finalement. Vous nous avez évité de faire un long voyage
qui n’aurait servi à rien.
– Tu veux dire que tu crois
ce qu’il raconte ? Comme ça ? Il te raconte des histoires et… tu
prends ça pour de l’argent comptant ?
– Harold, pourquoi veux-tu
qu’il mente ? Qu’est-ce qu’il a à y gagner ?
– Comment veux-tu que je
sache ce qu’il a derrière la tête ? Nous tuer peut-être. Ou te violer.
– Je ne suis pas très
amateur de viol, répondit Stu d’une voix posée. Mais peut-être que toi… tous
les goûts sont dans la nature.
– Arrête ! dit
Fran. Tu veux bien essayer d’être un peu moins désagréable, s’il te plaît ?
– Désagréable ? aboya
Harold. J’essaye de m’occuper de toi – de nous deux – et tu me dis que je suis désagréable ?
– Regardez donc, dit Stu en
relevant sa manche. Ils m’ont piqué avec tout un tas de cochonneries.
On voyait effectivement plusieurs
traces d’aiguilles au creux de son coude et une grosse tache brunâtre.
– Ce qui peut vouloir dire
que vous êtes drogué, répliqua Harold.
Stu baissa la manche de sa
chemise sans répondre. C’était à cause de la fille, naturellement. Il s’était
fait à l’idée qu’elle était à lui. Il y a des filles qui sont d’accord, d’autres
pas. Et celle-là semblait appartenir à la seconde catégorie. Elle était grande,
jolie, fraîche comme une rose. Et ses yeux remplis de larmes semblaient appeler
au secours. Mais il aurait été facile de ne pas voir cette petite ride entre
ses sourcils qui se faisait plus prononcée quand elle était fâchée, le mouvement
énergique de ses mains lorsqu’elle ramenait ses cheveux en arrière.
– Alors qu’est-ce qu’on fait ?
demanda-t-elle, comme si elle n’avait pas entendu la dernière remarque de
Harold.
– On continue quand même, répondit
Harold. Il faut bien aller quelque part. Il dit peut-être la vérité, mais rien
ne nous empêche de vérifier. On verra ensuite, s’empressa-t-il d’ajouter lorsqu’elle
le regarda avec cette petite ride entre les deux sourcils.
Fran lança un regard à Stu, comme
pour s’excuser. Stu se contenta de hausser les épaules.
– D’accord, Fran ?
– Pourquoi pas ? répondit
Frannie.
Elle cueillit un pissenlit et
souffla sur le duvet.
– Vous n’avez vu personne en
venant ? demanda Stu.
– Un chien. C’est tout.
– Moi aussi, j’ai vu un
chien, dit Stu qui leur raconta sa rencontre avec Bateman et Kojak. J’allais
vers la côte. Mais vous dites qu’il n’y a plus personne là-bas. Ça me coupe un
peu les pattes.
– Désolé, dit Harold d’un
ton qui ne l’était pas du tout. Tu es prête, Fran ? fit-il en se levant.
Elle regarda Stu, hésita un
instant, puis se leva.
– Bon, c’est reparti pour le
vibromassage. Merci de nous avoir dit ce que vous saviez, monsieur Redman, même
si les nouvelles ne sont pas tellement bonnes.
– Attendez, dit Stu en se
levant lui aussi.
Il hésitait. La fille était
certainement pas mal. Par contre, le type avait tout l’air d’un petit connard qui
se prend pour Einstein. Mais est-ce qu’il pouvait faire le difficile dans les
circonstances ? Probablement pas.
– Il me semble que nous
cherchons tous de la compagnie et j’aimerais partir avec vous, si vous êtes d’accord.
– Non, répondit aussitôt
Harold.
Fran regarda Harold, puis Stu.
– Peut-être que…
– J’ai dit non.
– Et moi je n’ai pas mon mot
à dire ?
– Mais enfin ! Tu ne
vois pas ce qu’il veut ? Réveille-toi, Fran !
– S’il y a des emmerdes, mieux
vaut être trois, dit Stu.
– Non.
Et la main de Harold effleura la
crosse de son pistolet.
– C’est d’accord, dit Fran. Nous
serons très contents que vous veniez avec nous, monsieur Redman.
Harold se retourna, le visage
déformé par la colère. Stu crut qu’il allait la frapper.
– Ah bon ! C’est comme
ça ? Tu attendais simplement une excuse pour te débarrasser de moi. Je
comprends maintenant. Si c’est ce que tu veux d’accord. Tu pars avec lui. J’en
ai marre de toi.
Ses yeux étaient remplis de
larmes. Il courut vers sa Honda. Frannie ne comprit pas tout de suite. Elle
regardait Stu.
– Une minute ! dit Stu.
Attendez un peu.
– Soyez gentil avec lui, dit
Fran. S’il vous plaît.
Stu s’avança vers Harold qui
essayait déjà de faire démarrer sa moto. Dans sa rage, il avait ouvert les gaz
à fond et noyé le carburateur. Heureusement pour lui, pensa Stu. Si la moto
avait démarré avec les gaz ouverts à fond, elle se serait cabrée, aurait foncé
dans le premier arbre et aurait écrasé ce pauvre vieux Harold en retombant.
– N’approchez pas ! hurla
Harold qui cherchait son pistolet.
Stu posa une main sur celle de
Harold, comme s’il jouait à la main chaude. Il posa l’autre sur le bras du
jeune homme. Les yeux de Harold avaient quelque chose d’un peu fou et Stu crut
qu’il était sur le point de devenir dangereux. Ce n’était pas simplement qu’il
était jaloux de la fille. Stu s’était trompé. C’était sa dignité qui était en
jeu, la nouvelle image qu’il se faisait de lui-même comme protecteur de cette
fille. Jusque-là, il avait sans doute été le roi des cons, un petit gros en bottes
pointues qui marchait en serrant les fesses. Mais, sous cette image, il savait
bien qu’il était encore un con et qu’il le serait toujours. Qu’il ne s’en
sortirait jamais. Il aurait réagi de la même manière s’il avait rencontré
Bateman ou un enfant de douze ans. Dans n’importe quel triangle, il se verrait
toujours comme le perdant.
– Harold, lui dit-il presque
dans l’oreille.
– Laissez-moi !
Harold vibrait comme une corde de
guitare.
– Harold, tu couches avec
elle ?
Harold sursauta et Stu comprit
que la réponse était non.
– Ça ne vous regarde pas !
– Non. Si j’en parle, c’est
pour que tout soit bien clair. Elle n’est pas à moi, Harold. Elle n’est à personne.
Je ne cherche pas à te la piquer. Désolé si je suis brutal, mais vaut mieux qu’on
sache où on en est. Nous sommes deux plus un maintenant. Si tu fous le camp, nous
sommes toujours deux plus un. Résultat nul.
Harold ne répondait pas, mais sa
main crispée commençait à se desserrer.
– Je vais essayer d’être
aussi clair que possible reprit Stu qui lui parlait toujours dans le creux de l’oreille
(où il voyait un magnifique bouchon brun de cérumen), en s’efforçant de rester
très, très calme. Tu sais comme moi qu’un homme n’a pas besoin de violer les
femmes. Quand il sait se servir de sa main.
Harold se passa la langue sur les
lèvres puis il regarda du côté de Fran qui les observait bras croisés, inquiète.
– C’est… c’est vraiment
dégoûtant.
– Oui et non. Mais quand un
homme court après une femme qui ne veut pas de lui dans son lit, il lui reste
toujours la veuve poignet. Moi, je m’en sers chaque fois. Et je pense que toi
aussi. Je veux que tu comprennes bien. Je ne suis pas là pour te la piquer, je
te l’ai déjà dit. Tu peux me faire confiance.
Harold lâcha son pistolet et
regarda Stu.
– Vous êtes sérieux… je… vous
promettez de ne pas lui dire ?
Stu fit signe que oui.
– Je l’aime, dit Harold d’une
voix rauque. Elle ne m’aime pas, je le sais, mais je veux que tout soit bien
clair, comme vous dites.
– Pas de problème. Je n’ai
aucune intention de foutre la merde entre vous deux, je veux simplement venir
avec vous.
– Vous promettez ?
– Oui.
– Alors, c’est d’accord.
Harold descendit lentement de la
Honda. Puis les deux hommes allèrent retrouver Fran.
– Il peut venir, dit Harold.
Et je… je m’excuse d’avoir… d’avoir été complètement con.
– Hourra ! s’exclama
Fran en battant des mains. Alors, où va-t-on ?
Ils décidèrent finalement de
continuer dans la direction que Fran et Harold suivaient, vers l’ouest. Stu
leur dit que Glen Bateman serait certainement très content de les héberger pour
la nuit, s’ils arrivaient à Woodsville avant qu’il fasse noir – et qu’il
accepterait peut-être de les accompagner lorsqu’ils repartiraient le lendemain
(en entendant ces mots, le visage de Harold s’éclaira). Stu prit la Honda de
Fran qui s’installa sur le siège arrière de celle de Harold. Ils s’arrêtèrent à
Twin Mountain pour déjeuner dans un snack-bar abandonné. Stu se surprit à
observer le visage de Fran – ses yeux vifs, son menton, petit mais volontaire, cette
ride qui se creusait entre ses sourcils. Il aimait sa manière d’être, de parler ;
il aimait la façon dont elle se coiffait, les cheveux tirés en arrière. Et il
comprit qu’il avait envie d’elle, tout compte fait.